Conscience
1. Relation
La conscience doit être définie par la relation interne entre le sujet psychologique, le sujet transcendantal et le sujet absolu.
Le mot sujet est lui-même un terme purement abstrait qui ne désigne rien de plus que le centre par rapport auquel nous envisageons le réel considéré dans sa totalité. Le sujet psychologique est le centre d'une perspective individuelle ; le sujet transcendantal, le centre de toute perspective en général ; le sujet absolu, le centre sans perspective, non plus par conséquent le centre abstrait de toutes les perspectives particulières, mais le centre concret qui les abolit à la fois et qui les fonde. Or où est la conscience ? Non pas assurément avec le sujet psychologique isolé qui, à la limite, ne serait que l'épiphénomène du corps, c'est-à-dire éclairé et non pas éclairant, et incapable de se fournir à lui-même sa propre lumière ; ni avec le sujet transcendantal, dont on pense souvent qu'il mérite le nom de sujet logique et dont nous ne connaissons la manière dont il agit que par ses produits ; ni avec le sujet absolu, qui, lorsqu'on essaie de l'isoler du sujet psychologique et du sujet transcendantal, apparaît soit comme identique à la chose en soi, soit comme le terme d'une aspiration et comme un objet de foi. Mais la conscience résulte, pour ainsi dire, d'une circulation entre ces trois aspects du même sujet. Le sujet psychologique reconnaît sa propre individualité au moment même où il aperçoit sa limitation, c'est-à-dire où le sujet transcendantal le prend comme objet et le dépasse ; et le sujet transcendantal, à son tour, ne peut être défini que par la limitation du caractère perspectif en général qui le fait être, mais qui l'oblige lui-même à se dépasser. Ce qui, dans un langage plus élémentaire, implique que la conscience résulte toujours de la relation vivante qui s'établit en chacun de nous entre l'individu, l'homme (ou plus justement l'être fini en général) et l'être absolu, sans qu'il soit possible de l'attribuer à aucun des trois termes autrement que dans son rapport avec les deux autres. Ainsi, sur un autre plan, la méditation théologique n'a pas cru pouvoir assigner la spiritualité à Dieu lui-même, autrement que par la relation interne qu'elle a établie entre les trois personnes.
2. Immédiateté
Le sujet absolu, précisément parce qu'il n'a point de perspective sur le réel, n'a de rapport immédiat qu'avec les autres sujets et non point avec les objets.
De la proposition I, on peut tirer cette conséquence que le sujet absolu, au moment où nous le considérons comme la base et le sommet du sujet transcendantal et des sujets psychologiques, ne peut plus être comme eux sujet d'un monde formé par des objets réels, soit qu'il s'agisse des idées, soit qu'il s'agisse des choses sensibles. Car les idées ou les choses n'apparaissent que dans la perspective d'un sujet en général ou d'un sujet particulier. Au contraire, le sujet absolu n'a de relation immédiate qu'avec tous les centres de perspective qui peuvent exister sur le réel et dont il fonde à la fois la distinction et l'accord ; les idées et les choses n'ont de sens pour lui qu'à travers ces perspectives elles-mêmes dont il est, à proprement parler, la raison d'être. De telle sorte que l'on peut dire, dans le langage créationniste, que Dieu n'a créé ni les idées ni les choses, mais qu'en créant des êtres, c'est-à-dire des personnes, il a créé du même coup le monde des idées, c'est-à-dire un monde commun à toutes les consciences, et un monde sensible dans lequel chacune d'elles exprime la vision originale et irréductible qu'elle a du monde.
3. Dépendance
Il n'y a point de sujet purement psychologique qui ne tienne du sujet transcendantal la conscience qu'il a de lui-même.
On peut démontrer qu'il n'y a point de sujet purement psychologique, par la possibilité même, pour le sujet transcendantal, de considérer le sujet psychologique comme un objet s'il le réduit à sa pure essence psychologique. Alors, selon le vocabulaire adopté universellement aujourd'hui, nous disons que le sujet psychologique cesse d'être un « je » pour devenir un « moi ». Mais, alors, il ne garde plus la fonction de sujet psychologique. C'est, en lui, le sujet transcendantal qui fait fonction de sujet et qui permet au sujet psychologique non pas seulement de connaître l'objet ou ses propres états, mais d'avoir, en quelque sorte, conscience de lui-même. Ainsi on peut dire que le sujet transcendantal, sans avoir conscience de soi, donne la conscience qu'il a de soi au sujet psychologique. Et ce qui est ici le plus remarquable, et qui montre l'indivisibilité des trois aspects du sujet, c'est que le sujet psychologique, en devenant un objet de connaissance pour le sujet transcendantal, a conscience de lui-même sans en avoir la connaissance. Et tout ce qui, dans le monde, n'a de sens que pour lui et par rapport à lui, ne peut jamais être pleinement objectivé, comme on le voit pour ses propres états, et pour ses perceptions elles-mêmes dans la mesure où elles enveloppent toujours quelque résonance qualitative et émotive. Dans le monde de l'expérience du sujet psychologique, il n'y a que le sujet transcendantal qui puisse atteindre à l'objectivité.
4. Incarnation
Le sujet transcendantal n'a de sens que pour s'incarner dans le sujet psychologique : et c'est de leur rencontre que naît la conscience.
L'argument précédent prouve que c'est toujours de plus haut que moi que vient la lumière même qui m'éclaire. Je n'ai conscience de moi-même que parce que le sujet transcendantal me permet de me poser en tant que sujet psychologique, ou parce qu'il y a en moi un sujet en général qui me permet de reconnaître le moi que je suis. Mais ce sujet transcendantal n'a pourtant lui-même aucune existence indépendante. Tout au plus peut-on dire qu'il est la possibilité de tous les « moi » particuliers et que c'est lui qui leur permet de se déterminer à l'existence. Et c'est pour cela que c'est dans le rapport entre le moi transcendantal et le moi particulier que s'exerce ma liberté. Mais ce moi possible ne peut se connaître qu'au moment où il s'actualise, ce moi libre, qu'au moment où il se détermine. Ce qui montre assez clairement qu'il n'y a de conscience du moi transcendantal que dans sa relation concrète avec le moi psychologique dont il fonde l'existence en le remettant sans cesse en question. De même, c'est le moi transcendantal qui permet au moi psychologique de penser l'idée, au-delà même de la perception qu'il a de l'objet sensible. Et la conscience ici apparaît comme un dépassement et un enveloppement à la fois du moi psychologique par le moi transcendantal, alors que si on les prenait isolément, le premier serait semblable à un objet sans pensée, et le second à une pensée sans objet.
5. Médiation
Le sujet absolu ne peut être nommé une conscience que dans le rapport qu'il soutient par l'intermédiaire du sujet transcendantal avec le sujet psychologique.
Mais le sujet transcendantal est lui-même incapable de se suffire ; il est un abstrait ; il est la possibilité du sujet psychologique à laquelle le sujet absolu seul peut donner sa possibilité propre. L'idée d'une perspective sur le réel qui est celle de tous et qui n'est celle de personne ne se justifie, comme on l'a vu au livre Ier prop. LV, que par le sujet absolu étranger à toutes les perspectives et qui les contient toutes. Il y a ici une relation qui a un caractère de nécessité dans la dialectique ascendante, même si nous sommes hors d'état de la justifier par une dialectique descendante. Mais de ce sujet absolu dont il semble que nous venons de le poser hypothétiquement, peut-on dire qu'il possède lui-même la conscience ? Ainsi, comme les psychologues pensent que la conscience est une relation qui prouve notre adaptation imparfaite au réel, qu'elle est le signe de notre insuffisance et qu'elle n'aurait point de sens dans l'absolu, les théologiens pensent que le mot de conscience ne convient point à Dieu, bien qu'il donne à toute conscience la lumière même qui l'éclaire. Cependant on remarque, d'une part, que chez cet être inadapté, la conscience est un progrès, un retour vers la source de toutes les adaptations, elle est supérieure à la plus parfaite d'entre elles parce qu'elle ne se résout jamais dans un ordre qu'elle subit, mais remonte toujours jusqu'à un ordre qu'elle crée ; et d'autre part, la lumière divine passe sans doute la conscience, parce qu'elle en est la perfection et le principe et non point la pure négation. Dès lors, il semble que la conscience naît au moment où le sujet transcendantal se tourne vers sa propre origine, c'est-à-dire vers le sujet absolu, afin d'actualiser sa propre possibilité qu'il ne réussit pas lui-même à fonder à l'intérieur du sujet psychologique. La conscience, alors, viendrait du sujet absolu, mais ne se produirait qu'au moment où, par un acte libre accompli à l'échelon du moi transcendantal, le sujet psychologique entrerait lui-même en jeu. Ainsi la lumière n'est point elle-même éclairée, bien que ce soit elle qui éclaire toutes choses. Et l'on comprend comment l'on a pu dire que, dans l'homme, la conscience est toujours une sortie de soi qui le met en rapport avec Dieu, et en Dieu, une sortie de soi qui le met en rapport avec les créatures.
6. Persistance
Dans le rapport interne des éléments du sujet, la relation du sujet avec l'objet persiste toujours.
On pourrait penser que dans cette relation des éléments du sujet les uns avec les autres, chacun de ces éléments peut être pris tour à tour comme objet pour les deux autres, de telle sorte que tout rapport avec l'objet proprement dit s'évanouit. On expliquerait ainsi la parfaite intériorité ou la parfaite suffisance de la conscience à elle-même. Toutefois, le sujet, dans chacun des rôles qui lui est assigné, garde sa relation avec un objet privilégié, faute de quoi il perdrait sa nature propre de sujet et ne pourrait pas définir la fonction qui lui est propre par opposition aux deux autres. Le sujet psychologique n'a pas pour objet le sujet transcendantal, mais, hors de nous, la chose sensible, et en nous, l'état d'âme faute de quoi il ne serait nullement un sujet psychologique. Le sujet transcendantal ne joue pas son rôle de médiateur en prenant pour objet le sujet psychologique dans lequel il s'actualise, ni le sujet absolu qui fournirait le terme de son aspiration. Le sujet transcendantal a un objet qui lui est propre, à savoir l'idée, sans laquelle il ne pourrait pas réaliser l'accord entre les sujets psychologiques dans une expérience qui serait la même pour tous, et serait incapable par conséquent de remplir sa fonction de sujet transcendantal. Le sujet absolu enfin n'a point pour objet le sujet transcendantal, ni le sujet psychologique, ce qui suppose qu'ils pourraient être en un certain sens indépendants de lui ; mais il n'a point, à proprement parler, d'objet ; il surmonte toute extériorité : il comprend et soutient le sujet transcendantal et le sujet psychologique, qui ne vivent que de l'activité même qu'il leur prête, bien que, pour acquérir une vie propre, ils puissent se séparer de lui, qui ne se sépare jamais d'eux.
7. Distinction
La relation entre le moi psychologique, le moi transcendantal et le moi absolu est une distinction purement spirituelle qui ne comporte entre eux aucune séparation réelle comparable à celle que le temps et l'espace introduisent entre les objets ou entre les événements.
On ne peut concevoir de termes distincts que par le moyen de l'espace et du temps qui instituent une distance entre les objets et les événements. Toute distinction de ce genre n'a de sens, par conséquent, que dans le monde de l'expérience phénoménale. Mais quand je considère la vie du sujet, on peut dire qu'elle est transphénoménale et par conséquent indépendante de l'espace et du temps, qui sont les moyens par lesquels le sujet se donne à lui-même des objets (encore faudrait-il distinguer du monde des objets le monde des idées, où l'implication et l'exclusion obéissent à d'autres lois que la séparation et la relation des lieux ou des instants, telles qu'elles se réalisent par l'intervalle spatial ou temporel et par le mouvement ou la mémoire qui les franchissent). Ainsi le sujet absolu ne peut jamais être réellement distinct du sujet psychologique ni du sujet transcendantal, bien qu'il puisse y avoir entre eux une sorte de voile, mais ce voile même ne peut pas faire qu'à son insu le sujet psychologique ne subisse l'action du sujet transcendantal, ni que le sujet transcendantal ne reçoive du sujet absolu toute l'activité dont il dispose. De là deux conséquences :
— la première, c'est qu'il existe un monde spirituel formé par la totalité même de la vie du sujet qui garde un caractère d'unité à travers la multiplicité de ses modes, et dont le monde phénoménal est à la fois le moyen par lequel il se manifeste et la condition par laquelle il se réalise. D'où il faut conclure qu'il n'y a qu'un sujet absolu, — et même qu'un sujet transcendantal ; bien que nous soyons tentés de considérer ce dernier comme inséparable de la multiplicité des sujets psychologiques dans lesquels il s'incarne, pourtant il exprime le même rapport entre le sujet absolu et chaque sujet psychologique : il faut qu'il soit un pour les unir et leur servir de témoin. Il n'y a pas une pluralité de raisons identiques dans chaque conscience ; mais toutes les consciences invoquent la même raison, au sens le plus rigoureux du mot même. Et c'est pour cela qu'aucune d'elles ne lui est pleinement adéquate.
— la seconde conséquence, c'est que le monadologisme n'est pas entièrement vrai. Car il faut en conclure d'autre part que les sujets psychologiques ne sont pas non plus absolument séparés et indépendants les uns des autres. Ils sont intérieurs à eux-mêmes en tant précisément qu'ils se lient au sujet absolu par l'intermédiaire du sujet transcendantal ; alors on les voit découvrir la liberté qui est leur propre commencement absolu, parce qu'elle est une participation à ce commencement absolu qui est l'acte propre du sujet absolu. Mais cette intériorité au plus profond d'elle-même les unit à toutes les autres monades au lieu de les en séparer : et elles ne s'en séparent que lorsque, précisément réduites à leur état de sujet psychologique, elles ne connaissent rien de plus que leur propre limitation, et la servitude même où le corps les réduit.
8. Intervalle
Le monde réel remplit l'intervalle qui sépare les unes des autres les différentes modalités du sujet.
Jusqu'ici nous ne sommes pas sortis du monde de la subjectivité. Nous ne connaissons rien de plus que la distinction entre les différentes modalités du sujet, et entre les sujets particuliers que nous sommes bien obligés de distinguer les uns des autres, faute de quoi la subjectivité absolue, et même la subjectivité transcendantale, ne se distingueraient pas de la subjectivité psychologique. Mais la distinction entre les différents modes de la subjectivité ne peut être posée que par un écart qui doit être rempli. Il ne peut l'être que par l'objectivité : l'objectivité du monde des idées servira à remplir l'intervalle entre la subjectivité absolue et la subjectivité transcendantale, et le monde sensible remplira l'intervalle entre la subjectivité transcendantale et la subjectivité psychologique. Telle est la raison aussi pour laquelle : 1° les différentes consciences sont séparées les unes des autres et pourtant unies, et 2° il y a dans le tout du sujet une correspondance réglée entre l'idée et le sensible.
On peut se demander pourquoi il est nécessaire qu'il y ait ainsi une réalité qui remplisse le double intervalle qui sépare l'un de l'autre les différents plans du sujet. Mais nous dirons que le sujet transcendantal, étant incapable de coïncider avec le sujet absolu puisqu'il introduit dans le monde l'idée d'une perspective en général, doit envelopper dans cette perspective, sous la forme d'une réalité donnée, ce qui lui manque pour égaler le sujet absolu, mais qui doit pourtant former un monde valable pour toutes les perspectives particulières : tel est précisément le rôle du monde des idées. Et de même, le sujet psychologique limite lui aussi le sujet transcendantal, en ne retenant qu'une seule des perspectives particulières pour lesquelles légifère le sujet en général. Pour ne pas se confondre avec lui, il faut qu'il en soit séparé par un objet donné qui n'a d'existence que pour lui seul et dans lequel pourtant il subira une action qu'il n'a pas produite : tel est précisément le rôle de l'objet sensible. On voit maintenant l'origine des discussions qui ont eu lieu, et qui sont au fond de la querelle des nominalistes et des réalistes, sur la richesse relative du sensible et de l'idée. Si l'idée n'est que l'abstrait du sensible, c'est le sensible qui est le plus riche et, en ce sens, on peut dire qu'il n'existe rien de plus que l'individu, mais alors il vaudrait mieux dire le concept que l'idée. Inversement si l'on considère l'idée dans son rapport avec l'absolu et le sensible comme sa limitation, c'est l'idée qui l'emporte non pas seulement par sa richesse, mais aussi par sa fécondité, puisque c'est elle qui donne au sensible la signification et la vie.
9. Gradation
À l'échelle du sujet transcendantal, nous pouvons distinguer entre la catégorie, le concept et l'idée.
C'est le monde des idées qui remplit la distance entre le sujet transcendantal et le sujet absolu, et qui les empêche de se confondre. Telle est la raison pour laquelle le monde des idées a été considéré par Platon comme supérieur au monde sensible et comme une suite de degrés nous permettant d'accéder à l'idée suprême qui est l'idée du Bien. Toutefois, sur ce point, la conception platonicienne mérite d'être complétée. Car s'il est vrai que le sujet n'assume la fonction transcendantale et ne rencontre l'idée que lorsqu'en partant du monde sensible, il s'élève jusqu'à ce monde supérieur où il découvre leur modèle éternel, encore est-il vrai que ces idées ne doivent pas être considérées comme des choses plus parfaites. Elles ne remplissent leur rôle dans le platonisme qu'à condition d'exprimer l'activité même du sujet absolu en tant qu'elle descend jusqu'au sensible pour lui proposer un idéal et pour l'animer. Si on voulait que l'idée ne fût rien de plus qu'un schéma abstrait tiré du sensible, alors il faudrait lui donner le nom de concept. Et l'on réserverait le nom de catégorie à l'activité propre au sujet transcendantal, au moment où il pose les conditions générales sans lesquelles le sensible ne pourrait pas être pensé.
10. Valeur
Le sujet transcendantal, quand il se tourne vers le sujet absolu et non plus vers le sujet psychologique, fait apparaître la valeur.
Nous pouvons dire de l'idée qu'elle exprime l'activité du sujet absolu en tant qu'elle est susceptible d'être participée : elle l'est par le sujet transcendantal et descend jusqu'au monde sensible dont elle devient pour ainsi dire la raison. Mais nous restons encore ici sur le plan de l'intelligence, c'est-à-dire de la possibilité. Le sujet psychologique peut participer à l'absolu par le moyen de l'idée, l'idée n'est alors qu'une médiation vers l'absolu. Mais dès qu'elle est voulue, alors elle est un idéal, elle est une participation réalisée et non plus une participation pensée, elle est objet d'amour : elle mérite alors le nom de valeur. Il y a donc ambiguïté dans le terme qui la désigne, puisque selon qu'elle est orientée vers le monde sensible, qu'elle explique, ou vers l'absolu, dont elle nous ouvre l'accès, elle mérite le nom d'idée ou le nom de valeur. Et sans doute deux attitudes sont possibles, selon que le sujet regarde l'idée elle-même comme un objet intelligible auquel il s'applique, ou qu'au contraire, il considère l'idée comme venant de plus haut que lui, et comme représentant le principe même qui l'anime.
D'autre part, on peut distinguer entre les idées, comme on le voit bien dans le platonisme, car les idées théoriques semblent être les modèles des choses, et les idées pratiques les modèles de notre action. Mais l'art fournit entre ces deux sortes de modèles une transition. Et l'on peut se demander si l'idée n'est pas, dans chaque chose, l'activité secrète qui la modèle, comme elle est, à l'égard de l'action elle-même, une essence qu'elle cherche à atteindre, et que découvre le regard de la contemplation quand il est assez pur.
11. Participation
Le sujet psychologique se constitue comme une participation au sujet absolu par l'intermédiaire du sujet transcendantal.
On pourrait penser que le sujet psychologique et le sujet absolu ont seuls un caractère concret et réel, et dès lors il semble que la vie de la conscience se présente comme une participation immédiate de l'un à l'autre. Pourquoi donc ne pas abandonner le sujet transcendantal, comme le font si volontiers les psychologues ou les mystiques ? Mais il joue un rôle de médiateur que nous ne pouvons pas négliger. Car il n'y a pas de sujet particulier sans qu'il y en ait aussi une pluralité et même une infinité. Mais alors l'être particulier en général devient la possibilité de tel être particulier. Et cette possibilité est une possibilité réelle dont on peut dire d'abord que, par son indétermination même, elle met à la disposition du sujet particulier l'infinité des possibles qui sont une expression divisée de la perfection du sujet absolu ; que c'est par conséquent dans le rapport du sujet transcendantal au sujet psychologique que se réalisera ce choix des possibles qui est la marque de l'exercice de la liberté ; que c'est enfin en s'élevant jusqu'au sujet transcendantal que le sujet psychologique, allant au-delà de ses limites, pratiquera le vrai désintéressement, qui exprime, dans ses rapports avec les autres sujets particuliers, le témoignage de leurs rapports communs avec l'absolu.
12. Acte
Le sujet en tant que sujet ne peut être défini que comme un acte et même comme un acte sans passivité.
La notion de sujet évoque celle d'une substance destinée à supporter des accidents ou des qualités. Mais en fait, nous prenons ici le mot dans un autre sens : il s'agit du centre auquel nous pouvons rapporter tous les sujets possibles de notre pensée. Cela n'est possible qu'à une condition, c'est que ce centre ne devienne jamais lui-même un objet, même pour un autre sujet, ce qui abolirait aussitôt en lui sa nature propre de sujet. C'est là ce qui explique pourquoi il est faux, comme on l'a prétendu, qu'il y ait une réduction transcendantale permettant de faire du sujet un objet pour le moi transcendantal, ce qui nous oblige à considérer le sujet transcendantal comme étant la subjectivité même du sujet psychologique. Mais on a souvent une tendance à considérer ce sujet comme un centre objectif de référence, sous prétexte qu'il y a aussi dans le monde d'autres centres que celui que j'occupe : mais cela n'a véritablement aucun sens. Dès lors un sujet qui n'est ni objet ni donné, mais pour lequel il y a des objets et des données, c'est ce qui en assure la possibilité, ce qui fait qu'il y a des termes qui, non seulement ont du rapport avec lui, mais peuvent lui être présentés ou offerts. C'est là ce qu'on appelle proprement un acte, et, si l'on y réfléchit, on voit qu'il n'y a qu'un acte qui puisse avoir cette subjectivité ou cette intériorité par laquelle il ne faut pas dire que les choses sont en nous, mais seulement qu'elles ont du rapport avec nous. Cet acte sera un acte sans passivité, toute passivité étant ce qui lui est extérieur, qui le limite, et avec quoi il a du rapport, c'est-à-dire son corrélatif sans lequel il ne peut être posé, mais étranger lui-même à l'opération qui le pose.
13. Corrélation
Les deux notions d'activité et de passivité sont toujours corrélatives.
La notion d'activité ne peut être détachée de celle de passivité avec laquelle elle forme couple, mais la passivité comme telle n'appartient pas au sujet, mais à l'objet. Ainsi, dans le sujet psychologique, il y a l'objet de la perception ou l'état d'âme, dont on peut bien dire que nous les subissons ; mais le sujet réside tout entier dans l'acte par lequel il se les rapporte à lui-même en tant qu'il ne les crée pas, mais est intéressé ou affecté par eux. De même, le sujet transcendantal ne pense l'idée que dans l'acte même par lequel il l'embrasse, bien que telle idée se distingue nécessairement de telle autre par son contenu qu'il est obligé d'accepter, même si l'on suppose que c'est lui-même qui l'a défini. Enfin, on peut bien dire du sujet absolu qu'il surmonte l'opposition de l'activité et de la passivité ; mais, en disant qu'il est acte pur, on dit du même coup qu'il a pour corrélatif toute la passivité qui se trouve dans toutes les perspectives sur le monde qu'il dépasse et qu'il rend possibles.
14. Unité
L'activité propre du sujet ne se répartit pas entre les différents aspects du sujet, elle doit être saisie dans cette unité actuelle qui détermine à chaque instant l'orientation de chacune de ses démarches.
Ce n'est que par abstraction que nous distinguons une activité propre à chacune des trois espèces de sujet que nous avons définies. Car il n'y a qu'une activité comme il n'y a qu'un sujet. Et nous devons essayer de la saisir à chaque instant au point même où elle s'applique et qui fait qu'elle peut se tourner vers sa forme psychologique pour s'individualiser, vers sa forme transcendantale pour constituer la connaissance, ou vers sa forme absolue pour remonter jusqu'à sa source. On trouve donc ici ce double chemin de descente et de montée qui caractérise toutes les démarches de la conscience. Mais ces différents mouvements intérieurs à la conscience sont toujours accompagnés des mouvements par lesquels elle se tourne vers quelque objet qui lui est extérieur, vers une chose, vers une idée, vers la valeur ou vers une autre conscience.
15. Réflexion
L'activité réflexive est identique à l'activité créatrice, mais de sens opposé.
Ce que nous entendons par activité créatrice, c'est cette activité absolue dont l'effet ne se distingue pas de son pur exercice et dont on peut dire qu'elle crée tout ce qui est, cette création n'étant rien de plus qu'elle-même en tant qu'elle se laisse participer par des libertés particulières auxquelles le monde fournit à la fois des limites qui les séparent et des moyens qui leur permettent de communiquer. L'activité que nous appelons réflexive suppose donc l'activité absolue ou créatrice, mais elle ne lui est pas hétérogène : comme celle-ci s'engage dans le temps, dès qu'elle est participée et s'exprime par l'élan qui nous porte du passé vers l'avenir, l'activité réflexive en change le sens, elle en remonte le cours, opposant sans cesse au réel le possible, et cherchant dans le possible la raison d'être du réel, soit pour l'expliquer, soit pour le produire.
16. Jonction
L'activité et la passivité se rejoignent à la base de la conscience aussi bien qu'au sommet.
Le sujet individuel en tant qu'il adhère encore à la nature doit être défini comme une spontanéité qui est elle-même une activité, mais une activité que nous subissons, de telle sorte qu'en lui l'activité et la passivité ne se distinguent pas. Et il en est de même dans l'exercice le plus parfait de notre liberté, qui est elle-même une activité dont nous disposons, dont l'initiative nous appartient, bien que la puissance qu'elle possède soit une puissance elle-même reçue. (Seulement il faut dire que dans le premier cas notre activité vient pour ainsi dire se résoudre dans notre passivité, alors que c'est l'inverse dans le second cas.) De telle sorte que la distinction entre l'activité et la passivité ne se produit que dans l'entre-deux, c'est-à-dire dans le rapport entre le sujet transcendantal et le sujet individuel, là où précisément ma liberté rencontre dans la nature elle-même une résistance qu'elle essaie de vaincre, et produit elle-même dans la sensibilité des effets auxquels désormais je demeure assujetti.
17. Liberté
La distinction entre les trois aspects du moi permet de comprendre l'exercice de la liberté : elle est placée à l'étage du moi transcendantal et regarde tantôt vers le moi psychique et tantôt vers le moi absolu.
La liberté ne peut exister que là où il y a une alternative. Et même, c'est l'alternative qui la définit, plutôt que l'infinité des fins entre lesquelles elle pourrait choisir. Cette alternative n'a de sens qu'à condition qu'elle nous oblige toujours à choisir entre le bas et le haut. C'est pour cela qu'elle siège au niveau du moi transcendantal, qui regarde tantôt vers le sujet absolu et tantôt vers le sujet empirique. Non pas qu'elle puisse jamais renier soit l'un soit l'autre : mais tantôt c'est en regardant vers le moi absolu qu'elle constitue le moi empirique, alors elle élève le monde au niveau de l'absolu ; tantôt c'est en regardant vers le moi empirique qu'elle pense atteindre le moi absolu, alors elle abaisse l'absolu au niveau du monde. De plus, le moi transcendantal n'existe que comme centre de possibilités, soit qu'il les pense, soit qu'il les réalise, ce qui est la fonction même de la liberté.
18. Possibilisation
La réflexion est la possibilisation du réel, mais cette possibilisation enferme tout le réel dans une puissance pure qui, en s'actualisant, peut revêtir deux formes différentes, idéale et objective, dont on peut alors expliquer l'accord et qui correspondent aux deux fonctions fondamentales de la conscience : l'entendement et le vouloir.
La réflexion, qui met en question tout le réel, le convertit tout entier en possible, afin que le sujet ait prise sur lui en l'actualisant. Seulement on considère souvent cette conversion comme aboutissant aussitôt à la transformation de la chose en idée. Cela n'est pas tout à fait vrai. Car la réflexion n'est encore que la puissance qui porte en elle tous les possibles, qui en exprime pour ainsi dire la possibilité. Elle est la possibilité de tous les possibles. Mais encore faut-il que ces possibles eux-mêmes soient actualisés comme possibles, ils le sont sous la forme de l'idée. Et c'est la fonction de l'entendement. Mais nous pouvons actualiser l'idée elle-même en lui donnant une forme objective ; et c'est la fonction du vouloir. L'accord de l'idée et de l'objet, qui sont les deux aspects du réel, est toujours précaire pour la connaissance ; seule l'action est capable de le vérifier en le réalisant : ce qui, jusque dans la théorie de la connaissance, justifie la valeur de l'expérimentation.
19. Possible
Le possible résulte d'une analyse de l'être et il s'oppose à la puissance comme l'entendement au vouloir.
On oppose le possible au réel ou à l'existence. Mais on ne peut pas l'opposer à l'être. Car il n'est pas rien : il exprime même une certaine intériorité de l'être, par où précisément il fait contraste avec la réalité ou avec l'existence, qui le supposent, bien qu'il puisse lui-même en être séparé. Les possibles expriment toujours une certaine analyse de la totalité de l'être qui, en m'en donnant la disposition, me permet de les actualiser et de fonder ma propre existence sur la participation. Mais on considère toujours le possible comme un objet et, d'une manière privilégiée, comme l'objet de l'entendement, bien que cet objet n'existe que par l'opération même de l'entendement. Toutefois, dans la mesure où le possible peut être actualisé, il représente une puissance de la volonté et qui soutient à l'égard du possible le même rapport que la volonté elle-même à l'égard de l'entendement.
20. Présence
L'acte de l'esprit s'oppose à l'action parce qu'au lieu de produire un effet matériel il produit seulement la pure présence de son objet.
Il est difficile, semble-t-il, de définir l'acte autrement que par rapport à son effet. Mais c'est alors le confondre avec l'action, qui intéresse le corps autant que l'esprit et établit un rapport entre les mouvements dont le corps dispose et ceux qu'il impose à d'autres corps. Cependant il était naturel, quand on considère l'acte dans sa pureté, indépendamment du corps, de lui attribuer encore comme fonction de poser son objet, au sens où le poser, c'est le construire et même le créer. Ces mots traduisent assez bien les différentes formes de l'idéalisme. Mais l'acte est purement intérieur à lui-même, il n'est créateur de rien sinon de soi : en quoi réside sa propre spiritualité. En dehors de lui, il n'y a rien de plus que le monde des objets. En disant qu'il y applique son intention, les philosophes modernes veulent dire qu'il les actualise, c'est-à-dire qu'il se les rend présents. L'acte spirituel n'imite pas l'action matérielle ; il ne se déploie pas dans l'extériorité, et, en donnant aux choses la présence, il ne rompt pas sa propre intériorité.
21. Fondement
Le moi est placé en un point qui est au-dessus de la distinction du spectateur et de l'agent, mais qui la fonde, sur les trois plans de son activité.
Le moi réside dans une activité, mais qui n'est point une activité absolue, et qui se scinde nécessairement dans une activité créatrice, dans laquelle il se produit lui-même en marquant le monde de son empreinte, et une activité purement représentative, qui lui permet d'embrasser dans le monde tout ce qui le dépasse : par là seulement, il réussit à demeurer solidaire de la totalité du monde, c'est-à-dire, à la fois, à s'en détacher et à s'y inscrire. Or cette activité et cette passivité se retrouveront au niveau du moi individuel sous la forme d'une opposition entre la sensation et le désir, au niveau du moi transcendantal sous la forme d'une opposition entre l'entendement et le vouloir, et dans le moi absolu à l'intérieur de cette unité qui ne peut être offerte en participation qu'à condition qu'elle se scinde elle-même pour alimenter à la fois notre contemplation et notre action.
22. Intériorité
La conscience n'exclut pas le rapport d'intériorité et d'extériorité, comme on le croit quelquefois, sous prétexte qu'il ne vaut que pour l'espace : comme dans tous les couples de contraires, l'intériorité a un privilège sur l'extériorité et l'absorbe à la limite.
On s'est élevé cf. liv. Ier, Prop. LXXVI contre l'idée d'un monde de la conscience qualifié d'intérieur et d'un monde physique qui lui serait extérieur. Et on allègue que cette représentation ne vaut que dans l'espace. Or la conscience n'est pas dans l'espace : elle n'a donc pas d'intériorité. Et rien, par suite, ne lui est extérieur au sens strict de ce terme. Mais l'opposition de l'intériorité et de l'extériorité présente ici un sens un peu différent : l'intériorité, c'est, non pas un objet situé au dedans d'une enceinte, mais ce qui n'a de sens qu'en soi et pour soi, au lieu que l'extériorité, c'est ce qui n'a de sens que pour un autre, à savoir pour un sujet sans lequel cela même ne serait rien. Or l'extériorité et l'intériorité sont réciproques, tout au moins quand on a affaire à un sujet fini. Mais l'intériorité possède un privilège par rapport à l'extériorité, parce que c'est elle qui est positive, au lieu que l'extériorité n'en traduit que la limitation. De telle sorte que l'extériorité disparaîtrait et serait absorbée par l'intériorité, si celle-ci était poussée jusqu'au dernier point. Mais inversement on pourrait dire, si on entend par intériorité non pas un acte mais un contenu, que le sujet n'a pas de dedans, mais qu'il a seulement un dehors avec lequel il ne cesse d'être en rapport (ce rapport étant son unique dedans).
23. Représentation
On peut dire que le sujet crée la représentation du monde à la fois par ce qu'il est et par ce qu'il n'est pas ; ce qui explique la part d'activité et la part de passivité qui apparaît dans son œuvre.
On a cru devoir expliquer presque toujours la représentation que nous avons du monde par l'opposition d'une matière et d'une forme, mais sans que l'on puisse rendre compte ni de l'existence de cette matière, qui demeure une donnée inintelligible, ni de la convenance de la forme, où l'esprit reconnaît ses propres opérations, avec une matière qui lui est hétérogène. Mais si on accepte que l'activité du sujet soit une activité participée, elle est inséparable de l'activité dont elle participe. Ce qui veut dire que, dans la participation, l'unité du monde ne peut jamais être rompue. Or cela n'est réalisable qu'à une condition, à savoir que l'activité exercée par le sujet soit toujours corrélative d'une passivité qui la dépasse et qui lui répond, ou que toute opération qu'elle accomplit soit corrélative d'une certaine donnée. La représentation du monde exprime à la fois dans le sujet ce qu'il est et ce qu'il n'est pas, ce qu'il peut et ce qu'il ne peut pas, mais à condition que ce qu'il n'est pas ou ce qu'il ne peut pas reste toujours en relation avec ce qu'il est et avec ce qu'il peut. Tel est, en effet, le sens de la distinction et de la correspondance qui ne cessent de s'établir dans la connaissance entre sa matière et sa forme.
24. Expression
La liberté exprime l'acte de participation du sujet psychologique au sujet absolu par l'intermédiaire du sujet transcendantal.
La liberté est une activité dont je dispose, un pouvoir que j'ai reçu, mais que je ne puis exercer qu'à condition de m'en emparer. Elle n'appartient jamais qu'à un sujet particulier. Mais elle est dans ce sujet particulier le pouvoir qu'il a de se créer, c'est-à-dire de se dépasser, d'aller sans cesse au-delà de ce qu'il est. C'est pour cela qu'elle est obligée d'élargir ce sujet particulier jusqu'aux dimensions du sujet en général dans lequel il y a la possibilité d'une multiplicité de sujets différents, d'une altération et d'un enrichissement de ma nature psychologique. C'est dire que le sujet en général crée une sorte de médiation grâce à laquelle le sujet psychologique, au lieu de rester enfermé à l'intérieur de ses propres limites, cesse d'en être prisonnier et va sans cesse au-delà. La liberté, greffée sur la nature, est la puissance par laquelle ma nature est niée et toujours transcendée.
25. Antinomie
La liberté est une et multiple : elle est le point où, pour s'exercer, elle crée l'antinomie de l'un et du multiple et la résout.
La liberté ne peut être définie que comme le pouvoir un de choisir entre des possibles différents. Dire qu'elle est un pouvoir, c'est la distinguer de l'activité dont elle participe et qui, comme Descartes l'avait marqué avec beaucoup de force, ne peut jamais être définie par sa potentialité, ce qui est le signe même de l'impuissance et de l'insuffisance. Dans l'absolu, la puissance se convertit aussitôt en acte : elle ne s'en distingue pas. La puissance, au contraire, apparaît comme étant la loi même de toute participation. Et ce qui est laissé à l'être particulier, c'est précisément l'initiative de convertir cette puissance en acte. Mais cette puissance est idéalement la puissance du tout, bien qu'elle soit nécessairement bornée dans les conditions mêmes de son exercice, telles qu'elles sont déterminées par la situation dans laquelle elle est engagée et par le temps où elle est obligée d'agir. De telle sorte que l'unité même de cette puissance est corrélative d'une multiplicité objective, qui sollicite en elle des pensées différentes et lui propose une multiplicité de possibles, entre lesquels il faudra qu'elle choisisse. Dans ce choix, l'unité ne réussira pas à se rompre, puisqu'il exprime une hiérarchie de possibles et que ceux qu'il exclut le sont encore par son acte propre. Ce choix est, en quelque sorte, la seule manière que la liberté a de créer, et, par conséquent, de créer le moi lui-même ; la distinction ici entre le créant et le créé ne peut pas être abolie comme dans l'acte pur : le rapport des deux termes est toujours remis en question. Mais la multiplicité est ici corrélative de l'activité participée qui, gardant son unité intérieure, s'oppose à elle-même un monde infiniment varié qui devient la matière même de ses décisions. Celles-ci affectent la forme à la fois d'une option et d'une synthèse. L'antinomie de l'un et du multiple est la condition de la liberté : mais elle est aussi son œuvre ; c'est elle qui donne à la fois le problème et la solution.